samedi 23 avril 2011

Le gaz de schiste, les dangers de son exploitation

La ministre de l'écologie, du développement durable des transports et du logement et le ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique ont, par lettre du 4 février 2011 chargé le vice-président du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et le vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable de diligenter une mission portant sur les hydrocarbures de roche-mère.

La mission a pour objectif d’étudier :

- le potentiel de développement des hydrocarbures de roche-mère ainsi que les opportunités économiques et les enjeux géopolitiques associés

- les techniques d’exploitation : leur efficacité, leur maîtrise par l’industrie française, leurs impacts, leur coût et leurs perspectives d’évolution ;

- les enjeux sociétaux et environnementaux pouvant avoir une incidence sur le développement d’une exploitation des hydrocarbures de roche-mère en France ;

- le cadre légal, fiscal et réglementaire applicable, ainsi que l’organisation et les moyens de l’administration en charge du dossier.

Contrairement aux gaz conventionnels, qui sont stockés dans une poche poreuse et perméable, les gisements d’hydrocarbures non conventionnels ne disposent pas de cette double caractéristique :

- Les hydrocarbures de roche-mère sont dispersés (absence d’accumulation) au sein d’une formation de roche non poreuse (en général un « shale » ou schiste argileux) qu’il faut fissurer pour extraire les huiles ou le gaz qui s’y trouvent ;

- Les gaz de réservoir compact (tight gas) sont accumulés dans une roche devenue non poreuse et imperméable qu’il faut également fissurer pour extraire le gaz ;

- Le gaz de houille1 (coalbed methane), le grisou, est dispersé et piégé dans les gisements de charbon. Son extraction exige également des opérations de fissuration.

Le Toarcien, avec à la base les schistes-cartons, subit des variations d'épaisseur très forte d'un endroit à l'autre (de quelques mètres à 150 m). Certains secteurs ont été fortement plissés et faillés à l'ère tertiaire ; en particulier, les trois permis accordés recouvrent sur une partie de leur superficie la bordure sud-est des Cévennes, une zone de failles très importantes d'orientation générale SW-NE.

Compte tenu du relief et de la tectonique, le Toarcien affleure en certains points tels que la bordure des Causses alors qu'en Ardèche, cet étage est rencontré en sondage à plus de 600 m de profondeur (45 m d'épaisseur) près d'Aubenas, à 1900 m près de Villeneuve-de-Berg (60 m d'épaisseur) et à plus de 3000 m (100 m d'épaisseur) près de la vallée du Rhône.

Ces quelques éléments de description géologique montrent que, même si la même couche liasique apparaît comme un réservoir potentiel dans les deux bassins, ceux-ci sont très différents en termes de profondeur, de géologie et d'hydrogéologie.

Qualitativement, le schiste « carton » du Toarcien semble prometteur. Il dispose, selon les opérateurs consultés par la mission, de caractéristiques analogues à celles des meilleurs gisements exploités aux Etats-Unis. Certains grands opérateurs mondiaux (Total et GDF-Suez) et les spécialistes du gaz de roche-mère se proposent d’investir massivement en France.

Quantitativement, la mission ne dispose que des résultats des études de l’AIE qui estime à 5 Tm3 les réserves françaises techniquement récupérables de gaz de roche-mère (soit 90 ans de notre consommation actuelle). Par ailleurs, sur la base de données confidentielles recueillies auprès des titulaires de permis exclusifs de recherches, qui n’ont pas été validées par des tests d’exploration et qui n’ont pas été contrôlées par la mission, il apparaît que le taux unitaire de gaz récupérable8 dans les trois permis de recherches accordés serait de l’ordre de 100 Mm3 par km2.

Les techniques de forage

Les techniques utilisées, et détaillées ci-après, pour rechercher, puis extraire l’huile et le gaz de roche-mère, diffèrent de celles employées pour l’exploitation des gisements conventionnels sur quatre points principaux, ces différences résultant des contextes géologiques différents :

- en l’absence d’accumulation d’hydrocarbure, il est nécessaire d’utiliser de nombreux puits pour accéder à un gisement vaste mais peu concentré. L’extraction des hydrocarbures de roche-mère exige une occupation (au moins temporaire) des sols importante ;

- toujours en raison de la faible concentration en hydrocarbure des gisements, l’extraction nécessite le forage de nombreux drains horizontaux au sein de la roche-mère : les tubes de production sont ainsi au contact du plus grand volume possible du gisement ;

- la roche-mère étant très peu perméable, il faut créer ou rétablir dans la roche-mère autour du drain horizontal des fissures ou fractures pour canaliser et en extraire les hydrocarbures. On a recours à une opération de fracturation hydraulique ;

- les opérations techniques étant plus nombreuses et plus complexes que pour l’exploitation d’un gisement traditionnel, les opérateurs gaziers ou pétroliers font appel, en sous traitance, à un plus grand nombre de sociétés de services.

La phase d'exploration comprend en général :

- le travail sur les données existantes : études géologiques diverses, sondages, géophysique, etc. Les données géophysiques acquises dans le passé peuvent être re-traitées, les outils informatiques de dépouillement ayant progressé ces dernières années et les objectifs actuels pouvant différer de ceux de la campagne initiale ;

- un éventuel travail géologique classique de terrain, sur certains secteurs mal connus ;

- des investigations de sismique-réflexion (camions-vibreurs comme source sismique) ;

- des forages profonds avec carottage des couches intéressantes (pour analyses et essais de laboratoire) et logs de diagraphies diverses (résistivité, acoustique, température, etc.).

S'agissant des hydrocarbures de roche-mère, si l'on veut conclure sur l'exploitabilité et la rentabilité économique d'un gisement, il est indispensable de réaliser en outre quelques essais de fracturation hydraulique, en forage vertical le plus souvent, assortis de prises de données complètes (notamment pression-débit des fluides et micro-sismicité).

La phase de forage est réalisée soit par des tubes et des cuvelages soit par des puits avec drains multiples.

L’objectif de la fracturation hydraulique est simple : fissurer la roche-mère non poreuse pour permettre la libération et l’extraction des molécules d’hydrocarbure qui s’y trouvent emprisonnées.

A la lumière de ses auditions, force est à la mission de constater que, au-delà des principes, les détails des techniques de fracturation utilisées par les grandes sociétés de service susceptibles d’intervenir en France sont mal connus de nos organismes techniques et même, ce qui est plus surprenant, des opérateurs pétroliers disposant de titres de recherches d’hydrocarbures de roche-mère dans notre pays et qui font appel à leurs services.

Le fluide de fracturation : pressions, volumes d’eau injectés

Le fluide de fracturation est constitué essentiellement d’eau. Selon l’IFPEN, la quantité d’eau nécessaire au forage et à la fracturation d’un puits de gaz de roche-mère serait comprise entre 10 000 et 20 000 m³ (soit à peu près la consommation mensuelle d'une ville de 2000 habitants).

Les produits additifs : 700 produits utilisés aux Etats-Unis.

Parmi toutes les substances chimiques, non spécifiées dans le rapport remis à NKM, les parlementaires américains ont mis en évidence la présence de 29 substances connues aux Etats-Unis pour être des cancérigènes probables ou suspectés ou des polluants dangereux de l’air ou de l’eau règlementés selon le Safe Drinking Water Act. Citons parmi ces substances les dangereux benzéne, toluéne, xyléne, ethylbenzéne (les BTEX), formaldéhyde…ou même du Gaz oil ! Les quantités sont considérables : plus de 38 millions de litres de produits contenant au moins un cancérigène, plus de 43 millions de litres de BTEX en 5 ans ! Ces substances étaient présentes dans environ 650 produits chimiques différents.

D’autres molécules dangereuses repérées. Comme le 2-butoxyethanol, un surfactant entrant dans la composition de très nombreux produits de fracturation (126) et pouvant provoquer la destruction des globules rouges ou des dommages au foie ou à la moelle osseuse. Les compagnies américaines ont pourtant utilisé plus de 82 millions de litres de produits contenant cette substance entre 2005 et 2009. C’était même l’ingrédient de fracturation le plus utilisé au Texas pendant cette période !

Ce rapport orienté indique, notamment :

- l’occupation au sol : un chantier encombrant, mais transitoire

- peu de choses visibles en surface durant la phase de production

- Impact sur la santé des populations et sur l’environnement

La mission s’est rendue dans les départements de l’Ardèche, de l’Hérault et de Seine-et-Marne pour recueillir les avis et les analyses des élus locaux, des organisations de protection de l’environnement et des associations qui se sont mobilisés autour des projets d’exploration des ressources en hydrocarbures de roche-mère. Ces entretiens ont notamment mis en lumière les craintes que suscitent la recherche et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère en matière d’impact sur la santé des populations riveraines et sur l’environnement.

Risque de contamination des eaux

Concernant les substances présentes dans la roche mère, les schistes riches en matière organique sont connus pour contenir des sulfures biogéniques, lesquels ont la particularité de piéger de nombreux métaux (Pb, Cu, Zn, Co,Ni, Cd, Hg, U, etc.). Selon les experts de l'INERIS, on peut donc craindre une mobilisation de certains éléments par le fluide de fracturation et leur transfert vers la surface via les remontées de ce fluide. Tout dépend de la concentration initiale dans la roche-mère, très mal connue aujourd'hui, de la quantité d'eau récupérée en surface et des additifs chimiques utilisés. Les quantités de métaux lourds ainsi remontées seraient évidemment faibles mais peuvent imposer des traitements des eaux avant rejet.

Après lecture de ce pré-rapport, l' OMESC s’oppose à l’extraction par fracturation des huiles et gaz de schiste.

En effet, il existe peu d’experts en France compétents dans ce domaine et les services de la Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL), déjà à effectifs réduits pour surveiller les ICPE classiques et les SEVESO ne pourront, à moins d’être décuplés, surveiller ces installations qui, d’ailleurs, ne sont pas des ICPE !

Dans un site tel que les Causses, qui englobe le Parc National des Cévennes il est inconcevable d’ériger des puits de forage et de transformer les sous-sols en gruyère !

Dans cette région touristique préservée, il n’est pas souhaitable, d’installer des industries polluantes,  très gourmandes en eau et énergie et utilisatrices de nombreux produits toxiques déjà décrits.

Jean-Pierre Galtier - OMESC

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